Il y a de cela 25 ans – en 1995 – je débutais ma carrière professionnelle. Diplôme du Celsa en poche, je décidais de rejoindre une profession en plein devenir mais pleine d’avenir : les relations presse.
Ce métier faisait encore l’objet de commentaires convenus, de rumeurs contradictoires et se préparait à accueillir la révolution digitale. Souvenez-vous, 1995, c’est déjà l’année où Xavier Niel (futur créateur de Free) rentre au capital d’Iliad. C’est aussi l’année de la création de Club-Internet et de Wanadoo. L’Internet grand public prenait son envol.
Au tout début, mon quotidien était surtout rythmé par les mises sous pli de communiqués de presse le matin, et par les consultations et l’exploitation des bases de données de journalistes livrées sur CD-Rom l’après-midi. Mais l’époque était trop porteuse de promesses pour rester derrière un bureau à exécuter des tâches conventionnelles.
Je commençais à courir les réunions et les salons à la recherche des oracles qui pourraient prédire mon avenir.
Aucun présage du côté de mes clients. Ils ne voulaient pas entendre parler des sites d’informations – seul le papier trouvait grâce à leurs yeux. Encore moi du côté des journalistes ! Lors d’une réunion du Groupement des Editeurs de la Presse en Ligne, un représentant de Libération avait même annoncé très sérieusement qu’une version PDF du journal était à l’étude pour être vendue juste un peu plus chère que sa version imprimée….
Quel chemin a été parcouru depuis !
D’abord par les attachés de presse, reconfigurés autour de la recherche de valeur ajoutée dans la production de contenus destinés aux journalistes et d’une hyper réactivité. Ou, comme le disent les experts de la com de crise, une hyper attention, à mesure qu’Internet s’est mué en une multitude de médias et réseaux sociaux.
Dans le même temps, la presse elle aussi s’est transformée. Elle a notamment dû faire face à la concurrence des bloggeurs prompts à se saisir des nouveaux outils de production de contenus apparus avec le Web 2.0.
Mes clients, quant à eux, n’ont pas tardé à remettre en cause la hiérarchie des médias. Ils découvraient en effet le pouvoir de recommandation des médias sociaux et leur rôle clé dans une stratégie de référencement naturel inspirée par le tout nouvel ami de l’Internaute : Google.
Dès lors, rien ne fut plus comme avant.
Les marques ont commencé à remettre en question leurs stratégies d’achat média en presse écrite pour se tourner vers la publicité en ligne.
Une nouvelle catégorie d’entreprise, baptisée « startup » à la fin des années 90, a eu tôt fait de saisir l’intérêt des relations presse pour sa visibilité numérique. Elle en a fait un usage parfois excessif : enquêtes en ligne dénuées de toute méthodologie, vrais et faux buzz orchestrés afin d’accélérer leur notoriété, etc.
La réputation des attachés de presse n’en n’est pas sortie indemne…
Entre temps, les Directions Digitales commençaient à prendre le pouvoir au sein des entreprises et entamaient parfois le pouvoir d’influence, pourtant bien établi, des Directions de la Communication.
Quand le profil de Community Manager fit son apparition, les attachés de presse en furent souvent écartés au profit des départements marketing ou digitaux.
On le sait pourtant aujourd’hui, la gestion de communautés numériques et d’influenceurs ne peut se penser uniquement en valeur marchande. Elle demande patience, empathie, capacité à identifier les besoins et à y répondre dans une forme la plus personnalisée possible.
Enfin, depuis deux ans, j’observe avec inquiétude l’ »Ubérisation » du secteur de la presse et l’apparition d’un profil de rédacteur de contenu attaché à des marques de presse et qui pour certains pourraient s’assimiler à une sorte de « plombier polonais » des médias.
D’une main, il produit des contenus cliquables, souvent réalisés à partir de simples recherches internet. De l’autre, il propose ses services de brand content aux marques qui n’ont souvent que cette solution pour faire parler de leurs produits.
Dans cette nouvelle distribution de l’information, les attachés de presse ne peuvent plus jouer leur rôle d’intermédiaire et disparaissent au profit de nouveaux attelages plus ou moins éthiques.
J’en ai fait l’amère expérience lorsqu’un de mes clients, consommateur lui aussi des nouveaux services de production éditoriale proposés par BFM, Le Figaro ou Libération n’a répondu à aucune demande de renseignements ou d’entretiens consécutifs à mon travail de rédaction et de diffusion de son dernier communiqué de presse. La raison ? Un manque évident de motivation pour informer le journaliste, en y consacrant le temps et l’écoute nécessaires. Les placements publi-éditoriaux le satisfaisaient pleinement.
Faut-il pour autant être pessimistes. Bien sûr que non, car les opportunités d’évoluer existent.
Les récentes mises à jour des algorithmes de Google ont ainsi permis le retour en force des contenus experts, avec un besoin de rédaction de qualité de plus en plus exprimé dans le déploiement de stratégies client.
La prise de pouvoir de la Génération Z sur les réseaux sociaux nous a également montré les opportunités qui s’ouvrent à nous en matière de lobbying digital.
Mais pour parvenir à maîtriser ces nouveaux terrains professionnels, encore faut-il comprendre les nouveaux enjeux et leurs implications stratégiques pour nos métiers.
La formation professionnelle remplit à merveille cette fonction. Formateur depuis 2002 pour Stratégies, et depuis cette année pour l’Agence de Communication de Crise Heiderich, je mesure la chance qui m’est donnée de rester au cœur des mutations et des réflexions qui agitent un métier dont je suis toujours amoureux après un quart de siècle de bons et loyaux services et de me faire « passeur de savoir » pour les générations futures.
Laurent Durgeat